Beau lavabo
Le récit intime, c'est également la farine du moulin sensible de Robert Frankle (né en 1965) dont c'est la premiàre exposition personnelle au Luxembourg (chez Nei Liicht). Tout commence avec une simple clé suspendue au mur par un clou: c'est la clé de la voiture d'une amie à lui confiée pendant son absence; et l'artiste de poster chaque jour - quatorze au total - un segment de vidéo donnant des nouvelles de cette chàre carrosserie qui se languit... comme un humain.
Et tout se termine par Teddy, une galerie de onze peluches, celles de l'enfance de l'artiste, qu'il entretient affectueusement et dont il tire un portrait assorti d'un petit texte. Tantôt ledit texte donne la parole aux peluches comme autant de personnages d'une fiction, d'un imaginaire tricoté jadis, tantôt il exhume les réels détails factuels qui, au milieu des souvenirs, expliquent où et comment chaque peluche est arrivée, s'est égarée ou a perdu un œil par exemple.
Entre ces deux maniàres de conférer une existence à l'inanimé - et par là même de se convaincre que l'on n'est jamais tout seul -, deux autres vidéos illustrent des troubles obsessionnels compulsifs, comme vérifier dix fois qu'une porte est fermée - à l'exemple de Checking - ou se frapper la cuisse - dans Pounding. Ces tocs, qui n'apportent aucun plaisir mais forcent à sourire, sont des actes compensatoires. Assez révélateurs d'une blessure, sinon d'une détresse, en l'occurrence liée à un sentiment d'abandon. Et en parlant de lui, l'artiste parle de nous. Suintant l'empathie, matinée d'humour solidaire, le travail - une narration visuelle - se fait irrésistible.
Et ça se vérifie avec First Gaze. Installée dans la salle de bain, cette vidéo trahit l'hébétude myope qui caractérise le saut du lit: tu te regardes dans le miroir sans vraiment te reconnaitre... avant de t'asperger le visage d'une eau censée laver ce que le sommeil a masqué. Pour compléter le rituel, Robert Frankle aligne une série d'autoportraits photographiques traduisant chacun un stade de l'éveil. Au final, au bout de ce temps minuscule et trivial, aussi quotidien qu'hygiéniste, aussi ludique qu'universel, artiste se révàle. Certains y verront peut-être une citation de Bruce Nauman (avec Self-Portrait as a Fountain), mais gageons qu'ils seront nombreux tous ceux qui désormais aborderont leur lavabo d'un autre œil...